La Journée mondiale des villes 2020 a été marquée à Lomé (Togo) par un POP-UP Géant de découverte et d’expérimentation de Sys’Woe, l’achat sans contact physique lors des transactions commerciales. Sys étant un système d’échange de biens et services sans utilisation de monnaie fiduciaire.
La monnaie digitale « Sys » voit le jour officiellement, le 12 septembre 2020 alors que la fin du FCFA continue d’alimenter les débats. Le système d’échange « Sys’Woe »[1] est une monnaie alternative, disponible à partir de l’application « Sys » sur Playstore créée spécialement pour l’échange des biens et services dans la HubCité, ville rêvée par les Woelabs[2].
En cette période de crise liée à la Covid-19, c’est donc sans masque que Sénamé Koffi Agbodjinou et l’Africaine d’Architecture[3] avancent une nouvelle brique de leur utopie urbaine « Lomé HubCité africaine », une ville vernaculaire[4] et alternative aux smart cities.
Co-créer les villes du futur avec des communautés innovantes, résilientes et proactives
Le lancement de la monnaie Sys fait entièrement écho au thème de la 7e Journée mondiale des villes 2020 qui est de « Valoriser nos communautés et nos villes » afin de souligner l’importance des communautés locales qui sont au cœur de la construction de villes durables.
A travers l’Unesco, les Nations Unies mettent l’accent sur le rôle central des communautés dans le développement urbain. En effet, l’Unesco s’appuie sur ses différents réseaux et programmes de villes comme levier pour soutenir les communautés par l’éducation, la culture, les sciences sociales et naturelles, la communication et l’information afin de renforcer leurs capacités à mieux s’engager et à répondre aux transformations multiformes des espaces urbains.
L’Unesco « plaide pour une approche de développement urbain centrée sur les personnes, soulignant la nécessité de « réhumaniser » les villes en les reconnectant avec leurs habitants », lit-on dans le dernier Observatoire annuel publié en septembre par l’Unesco et Netexplo « Smart about cities -Tisser des liens pour les villes de demain ».
Le HubCité, démocratie technologique et alternative à la smart city
L’observatoire Netexplo rend compte de différentes visions et projets sur les smart cities. L’expérimentation du projet HubCité, y a fait l’objet d’un focus.
HubCité est une utopie urbaine qui se concrétise à Lomé depuis une dizaine d’année sous l’impulsion de Sénamé Koffi Agbodjinou, Architecte, anthropologue et entrepreneur togolais dont voici les fondements et principaux éléments structurants :
Une approche « système-monde » des installations humaines
Cette approche considère que nous ne sommes que des parasites sur un organisme vivant, qui lui-même participe d’un ensemble plus grand. Elle se décline dans la société de tradition en éthique et en morale. L’expression la plus connue de cette morale africaine est Ubuntu, un principe qui professe l’interdépendance et considère que l’ordre ou l’équilibre du monde doit se réaliser dans la réunion de la partie et du tout.
Le système-monde se décline aussi dans les architectures traditionnelles africaines en 8 principes interdépendants, presque inextricables, qui font que la maison est pensée à l’image du monde et garantit que ce dernier existe au travers elle, […] durabilité, unité, totalité, cohérence…
La smart city, un horizon qui défile…
La smart city est un horizon qui défile en permanence. Les technologies changeant vite, à peine avez-vous fini un projet de smart city qu’elle est déjà désuète. […] nous sommes en train de promouvoir comme vision de société le plus vaste programme d’obsolescence programmée qui ait jamais été imaginé.
La smart cité ne s’est jamais proposée de faire des smart citizens. Elle est, en quelque sorte, le prolongement d’un idéal capitaliste qui est de transformer l’homme en individu parce que l’homme, affranchi du groupe, consomme.
Si vous êtes seul et que le dos qui vous gratte, vous avez besoin d’un device pour vous gratter le dos. Vous l’achetez. Alors que si vous êtes en groupe, vous pouvez demander à quelqu’un de vous gratter le dos…
L’Afrique peut être la bascule de la smart city « fuyante »
En 2050, la population africaine aura doublé. Un humain sur quatre vivra en Afrique et toutes les mesures qu’on pourrait prendre risquent d’être inefficaces. […] Cet emballement démographique s’accompagne d’une urbanisation accélérée. En 2050, 5 villes africaines seront des villes-régions qui s’étaleront sur plusieurs centaines de kilomètres et qui seront peut-être les 5 plus grandes mégapoles du monde. Les poumons-villes de l’humanité seront en Afrique.
Ainsi les choix des africains en matière de villes risquent de s’imposer à la terre entière.
La smart city sera civilisée par l’Afrique
Le projet de smart cité qui est de faire de l’homme un individu, risque d’être très difficile pour les Africains qui sont fondamentalement des êtres du collectif. La smart cité va être civilisée par l’Afrique car elle n’aura pas réussi à renverser ce qu’il y a encore de résistance dans nos structures traditionnelles et donc vous reviendra plus éthique. A moins qu’elle ne soit plus forte que l’Afrique et écrase ce qui reste de pratiques traditionnelles comme l’économie du partage.
Il y a donc un enjeu et l’Afrique peut être, pour la smart cité, un piège vertueux qu’il s’agit de construire.
HubCité, ville néo-vernaculaire
Les smart citizens peuvent décider d’avoir leur propre système d’échange et s’affranchir de la monnaie
- Le projet HubCité propose une nouvelle typologie urbaine, une smart cité dont l’horizon est collectif
- Un réseau de lieux ouverts sur un territoire donné. Chacun a le contrat de changer son périmètre de 1 ou 2 km avec des ressources développées par des gens du quartier qui se regroupent et décident d’eux-mêmes du système d’échange, de collecte de déchets, d’approvisionnement en nourriture, de la mobilité etc.
- Les meilleurs projets inspirent les autres lieux et, tous étant mis en réseaux – comme une smart grid – ils devraient tendre, petit à petit, vers une smart cité produite de la base
- Des meilleures idées, nous ferions des startups qui seraient toutes la propriété des communautés de ces lieux. On pourrait même imaginer qu’elles décident d’avoir leurs propres systèmes d’échange et s’affranchissent de monnaie et fonctionnent avec un système de points obtenus en rendant service à la ville : en collectant des déchets ou en donnant un coup de main dans le potager communautaire
Expérimentations en continue
L’entrepreneur sera amené à remplacer l’architecte, l’urbaniste ou le décideur dans la production de la ville
- Lancé en 2012. Deux lieux sont ouverts et accueillent du monde: le WoeLab, Site Zéro et le WoeLab, Site Prime
- Onze startups collaboratives créées et incubées à WoeLab dans le cadre du programme SiliconVilla ; elles sont construites sur l’intuition que l’entrepreneur est amené à remplacer l’architecte, l’urbaniste ou le décideur dans la production de la ville. Elles travaillent toutes sur une des thématiques urbaines: gestion des déchets, mobilité, question des ressources, etc.
- La moyenne d’âge est d’environ 19 ans. Ces jeunes réfléchissent 24h/24 à des projets qui peuvent impacter la proximité
- Ces lieux fonctionnent sur le modèle qui vient des sociétés de tradition : l’enclos d’initiation, l’endroit où nous regroupons les jeunes d’un même âge pour les initier à la connaissance et pour créer une cohésion au sein d’une classe d’âge qui est ensuite reversée à la transformation du village
- A ces lieux s’ajoutent des moments. L’enclos sert à créer la cohésion. Le moment, qui est le rituel, sert à réaffirmer le lien qui a été créé
La mise en place de cette nouvelle brique que constitue le système d’échange Sys, contribuera certainement à fédérer davantage de populations et de citoyens autour de cette utopie urbaine qui, malgré les défis, se concrétise au fil des années.
Des ressources pour en savoir plus sur l’approche néo-vernaculaire de Sénamé :
Podcast de son intervention dans Les mercredis de l’anthropocène du mardi 23 juin 2020 organisé par l’Ecole Urbaine de Lyon. Où il dialogue avec avec Juliana Quarim Borbosa Gotilla, architecte et urbaniste brésilienne, installée depuis 2011 à Saint-Étienne avec sur le thème « Penser l’urbain anthropocène depuis les Suds ».
[1] La concrétisation de ce projet a été possible grâce à une équipe engagée aux compétences pluridisciplinaires composée entre autres, de Sama Eyadoma, Mabizaa Badanaro, Seth Gnavo et Mimi Agbodjinou
[2] Les WoeLabs sont un réseau de tech-hubs togolais dont l’ambition est de “rendre tout le monde égal en face de la technologie” et au sein duquel il a contribué à lancer la demi-douzaine d’entreprises partagées du Groupe HubCity- Silicon Village au Togo. Il porte le projet Hub Cités africaines (Smarts Citys africaines) https://www.fablabs.io/labs/woelab; https://www.linkedin.com/company/woelabs/about/
[3] Une plateforme de recherche et d’expérimentation sur les questions de l’architecture et de la ville africaines.
[4] Sénamé Koffi Agbodjinou est promoteur de la pensée néo-vernaculaire qu’il décline concrètement en tant qu’innovateur, designer, entrepreneur aux différentes échelles du produit, du bâtiment et de la ville.
Bonjour
je suis très excité à l’idée de vous écouter lors de vos prochaines interventions sur les solutions à apporter à la ville intelligente africaine et particulièrement chez vous. C’est un cri… C’est le champ du possible
À vous lire
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